Une fois la description d’un vin faite, un autre problème se pose. Doit-on et peut-on lui donner une note? Les Américains en donnent une sur 100, les Européens sur 20. Les opposants de la notation dénoncent l’impossibilité de noter une œuvre d’art, une entité vivante. Il y a aussi la difficulté de devoir noter tous les vins avec la même échelle, de façon universelle, en mettant dans le même sac des produits qui ne se jugent pas du tout de la même manière. Parmi les critiques de vins, les opinions sont diverses, et une revue de leurs écrits peut nous aider à prendre position.
Ceux qui sont plutôt pour
Marc Chapleau, sur le blogue Cellier, s’était déjà en 2011 posé la question et avait tranché considérant que cela oblige le critique à « mettre ses culottes », tandis que notre regretté David Pelletier, qui commençait son excellent site Le sommelier fou, se disait déjà contre tout système de notation.
Le célèbre journaliste Jacques Benoit, récemment parti à la retraite, se posait les mêmes questions dans La Presse en 2015 et a continué à noter les vins, pour le plus grand plaisir de ses lecteurs et des agences en vins. Selon J. Benoit, le problème vient des notes exagérées sur 100 données à des vins moyens par certains critiques, mais il pense que l’exercice est utile, si la note est sévère et absolue, c’est-à-dire non relative à une catégorie de vins particulière.
Et ce qui me concerne, le Guide du vin Phaneuf (et ses grappes d’or), repris par Nadia Fournier, une grande professionnelle que je respecte beaucoup, a été pour moi, jeune sommelier au début du millénaire, une des précieuses références pour m’y retrouver parmi les milliers de producteurs même s’il n’y a pas de notes proprement dites. Le Guide Bettane + Desseauve et son système à trois étoiles (comme les macarons Michelin) sont aussi une mine de renseignements sur les producteurs. Dans les deux cas, la façon dont les commentaires expliquent pourquoi certains vins se sont distingués est aussi importante, voire plus, que les notations ou grappes d’or.
Ceux qui sont contre
Bill Zacharkiw, expliquait en 2016 son refus de noter les vins, comme David Pelletier, avec des arguments très valables. D’abord, comment connaître la différence entre un vin noté 89, et un autre 90? Je suis d’accord que la réponse n’est pas simple. Selon moi, il faut choisir des échelles plus courtes (sur 5, 10 ou maximum 20 points), et chaque note doit avoir des balises et des vins références, dans chaque catégorie. Bill soulève ensuite de bonnes questions : que doit-on prendre comme facteurs de qualité prépondérants? La concentration, comme Robert Parker, ou l’équilibre et la complexité, pour certains auteurs européens comme Jancis Robinson? Comment doit-on noter un vin avec du sucre résiduel, alors que le goût des connaisseurs et « wanna-be » connaisseurs s’éloigne de ces vins, et que le grand public les achète au Québec largement plus que les vins les plus secs? Ma réponse à cela est de laisser chaque dégustateur décider ce qu’il préfère et d’éviter de se fier à un seul critique, à moins de bien connaître ses préférences gustatives.
Soit dit en passant, Bill collabore avec Marc Chapleau sur le site Chacun son vin où les vins sont notés sur 100. Peut-être que dans ce cadre, même s’il s’en défend, on peut dire qu’il met ses culottes.
Jaques Orhon, fondateur de l’Association canadienne des sommeliers professionnels (ACSP) et ancien professeur, est plutôt contre, lui aussi. Ce sont les mêmes remarques que Bill Zacharkiw, avec la peur que les vins ne soient réduits qu’à un chiffre. C’est effectivement un phénomène contre lequel il faut lutter, j’en parle plus bas.
Yves Mailloux, du Huffington Post, enfin, est aussi dans le camp de ceux qui sont contre.
L’influence des critiques
Les détracteurs des systèmes de notes redoutent aussi, à raison, l’influence de certains critiques de vins, qui vont parfois jusqu’à modifier le goût du vin lui-même. L’exemple le plus connu est celui de l’Américain Robert Parker, maintenant à la retraite, qui, par sa préférence pour les vins puissants et marqués par le bois neuf, aurait été la cause de la multiplication de ce style de vins dans le monde entier. Pour ce qui est de la notation d’une œuvre d’art, le prix des vins, comme celui de l’art, est lui-même une sorte de notation, c’est d’ailleurs le critère de sélection et de classement des grands crus classés du Médoc en 1855, classement qui justifie encore aujourd’hui, à tort ou à raison, la hiérarchie qualitative des châteaux médocains. Même si les prix sont des indicateurs simplistes et souvent erronés de la qualité des vins, force est de constater que les notes et classements existent, qu’on le veuille ou non; de plus, tout critique de vins, même s’il ne veut pas mettre de notation chiffrée, établit lui aussi plusieurs niveaux d’appréciation entre les vins qu’il choisit de décrire, qu’il traduit par des mots au lieu de chiffres.
La note ne remplace pas la description
Selon moi, la question n’est donc pas tant de savoir si on peut noter un vin, mais si l’on souhaite, ou non, le faire malgré les difficultés que cela représente. Et si l’on décide de s’y mettre, il faut trouver l’angle, la démarche et le processus pour le faire de façon acceptable et rigoureuse. Mais attention, il n’est pas question de remplacer un descriptif complet par une simple note. La note doit rester un outil complémentaire, qui donne une information rapide sur l’évaluation globale d’un vin. Le danger qui doit être combattu est celui de mettre les notes en avant, sans aucune explication, et de réduire la complexité et l’immense diversité des vins à quelques chiffres.
La problématique de l’influence du goût d’une seule personne, comme celle de Bob Parker, peut être contournée par l’utilisation d’un comité de dégustation, comme celui du CercleduVin.com. La démarche doit être de rassembler les dégustateurs les plus différents possible, qui ont appris le vin de différentes manières, de la façon la plus académique à la plus autodidacte. Le résultat est forcément surprenant. Il n’y a plus de consensus facile comme cela arrive souvent entre plusieurs sommeliers ou plusieurs œnologues qui se connaissent. De plus, les vins sont dégustés à l’aveugle (ou à l’anonyme), ce qui place chaque dégustateur un peu plus dans la situation de quelqu’un qui déguste le vin sans rien y connaître.
Les bons rapports qualité-prix
Une fois les vins dévoilés, même ceux qui n’ont pas eu la meilleure note cumulative peuvent se révéler de très bon rapport qualité-prix. La notation n’est donc pas absolue, et il faudrait compléter l’analyse au besoin, après dévoilement, pour identifier, comme le fait Nadia Fournier dans son guide, les vins dont le rapport prix, appellation et plaisir de la dégustation, les rend très attrayants. Pour citer deux exemples que j’ai choisis lors des dernières dégustations du Cercle du vin, voici d’excellents produits d’appellations classiques, vraiment très recommandables pour leur prix, mais qui n’ont pas été sélectionnés en premier par les dégustateurs :
En blanc :
Domaine Laroche Chablis Saint-Martin 2016
Code SAQ : 00114223 à 24,25 $
et en rouge :
Fontella Chianti 2014
Code SAQ : 10382081 à 14,45 $