Notation des vins : art, technique ou imposture?

J’étais parti pour écrire un article sur la téquila après une journée complète de formation sur le sujet avec la maison Patron, puis j’ai relu l’article de Pierre Birlichi sur les systèmes de notation, et j’ai plutôt décidé d’y répondre. L’article sur la téquila viendra plus tard.

Pierre et moi avons des avis différents sur la façon de décrire les vins. Cela ne nous empêche pas de respecter avec professionnalisme le point de vue de l’autre. La première mission du Cercle du vin est justement d’offrir une tribune à ceux qui veulent exprimer leurs opinions, aussi diverses soient-elles. Notre différence est sans doute génétique. Il a grandi à Bordeaux, et moi à Paris. Or les Bordelais vendent leur vin, tandis que les Parisiens, comme les Québécois, les Belges ou les Anglais, achètent d’abord celui des autres. Il est clair que cela pousse les premiers à développer un langage imagé afin de faire rêver et provoquer l’émotion. Les autres doivent analyser les vins pour choisir de les mettre dans leur cave, ou non. Rêve et mythologie d’un côté, et pragmatisme de l’autre. Pourtant, si mon père a été un mon premier guide entre 13 et 23 ans dans mon parcours d’initiation aux grands vins, ce n’est pas lui qui m’a transmis le langage pragmatique de la présentation des vins que j’aimerais défendre ici.

L’analyse objective de l’Université du vin de Suze-la-Rousse

C’est à l’Université du vin de Suze-la-Rousse, à travers les travaux de Claude Sarfati et de Gilbert Fribourg, que j’ai découvert que le vin pouvait s’analyser de manière objective. Parmi les éléments clé décrits, on retrouvait : le visuel d’abord, avec la nuance et l’intensité de la couleur, l’olfactif ensuite, avec des qualités et des familles aromatiques à diverses intensités, le gustatif, avec les niveaux et la texture des tannins et de l’acidité, la quantité de sucre et d’alcool, et la conclusion enfin avec la qualité globale, l’équilibre, la PG (persistance gustative) et la PAI (persistance aromatique intense, c.-à-d. la finale aromatique).

Comme Pierre Birlichi, j’étais sur mes gardes au début, évidemment frustré par cette approche qui ne me permettait plus d’utiliser certains concepts comme l’élégance ou la finesse et encore moins de partir dans de grandes envolées lyriques sur les sentiments que me provoquait tel ou tel vin. J’appréhendais jusque-là le vin de façon littéraire, il fallait que je devienne scientifique.

Progressivement, j’ai appris à me servir de cet outil qu’est la grille de dégustation systématique, avec de plus en plus de dextérité, jusqu’à être capable de décrire un vin avec plus de détails qu’auparavant et d’exprimer en termes moins équivoques ce que j’entendais, par exemple, par élégance ou finesse. Cette approche de la dégustation, après étalonnage des dégustateurs sur les termes et explication détaillée de chaque concept (comme celui du moelleux), permettait de croire à une vision de la dégustation qui tendrait vers l’objectivité et permettrait de définir des typicités de terroirs et de niveaux qualitatifs.

Des termes qui prêtent à confusion

Mais cette approche française avait ses défauts. Certains termes, en dehors de Suze-la-Rousse, pouvaient prêter à confusion. Par exemple, la moyenne de l’acidité était dite « vive », « frais » correspondait à un niveau d’acidité inférieur à la moyenne. Ailleurs, le terme « frais » définissait la moyenne acide. Et que dire du mot « gouleyant » qui, à Suze, désignait exclusivement des tannins fondus?

L’autre problème, et Pierre l’a soulevé, c’est le manque d’étalonnage des dégustateurs dans le monde, et le fait que l’approche de Suze n’est partagée que par un petit nombre de personnes.

WSET : le système de notation anglophone

C’est alors que j’ai découvert en 2002 l’approche anglaise à travers les différents niveaux de la WSET (Wine and Spirit Education Trust). J’ai terminé le niveau 4 en 2007. Là encore, j’ai connu de la frustration au début. Il fallait désapprendre l’approche et l’étalonnage de Suze-la-Rousse pour recommencer à zéro avec les normes anglaises. Et encore une fois, je me suis senti à l’étroit pour décrire les vins dans toute leur complexité avec une grille comme celle-là. Puis, je me suis adapté à la démarche et j’ai réussi à placer les éléments complexes de ma perception des nuances fines dans la conclusion.

Une approche objective utile pour les professionnels

Cette approche très pragmatique et systématique n’est cependant pas la seule que j’utilise, loin de là. Pour présenter un vin à un client au restaurant ou même pour en parler entre amis, je suis le premier à emprunter un langage ludique et léger : il n’est pas question de parler d’acidité médium-plus ou de tannins moyen-moins. En revanche, pour choisir de façon professionnelle des vins pour une cave, comme je le fais encore régulièrement, c’est selon moi la seule approche qui devrait être utilisée. La trace écrite est sans équivoque, complète et permet d’avoir une image fidèle du vin, une heure, une semaine ou un an plus tard. L’approche systématique oblige à taire une intuition influencée par de multiples facteurs humains (dont le goût personnel) et environnementaux (comme la pression atmosphérique ou la position de Vénus…). Parmi les critères recherchés et évalués systématiquement, on trouve : la quantité et la qualité des tannins, la concentration, la complexité aromatique, la longueur et la nature de la finale, l’intégration des saveurs boisées ou du sucre résiduel, la qualité de l’acidité et son équilibre par rapport aux saveurs fruitées, la nature des saveurs oxydatives ou de la réduction, etc. L’étape la plus importante, souvent oubliée par les détracteurs de cette approche, est la conclusion, dans laquelle le dégustateur doit utiliser toute sa science pour rendre cohérent l’ensemble des éléments observés aux différentes étapes de la dégustation.

Vous trouverez ci-dessous les grilles du WSET 4, qui est un diplôme de niveau universitaire reconnu en Grande-Bretagne. Ces outils couvrent une grande portion de la réalité des vins, surtout quand on sait s’en servir et qu’on les a utilisés selon les règles, pendant plusieurs années. La partie la plus importante, souvent délaissée par les dégustateurs, même pros, est le classement des arômes par familles, avec pour chacune, un lien vers une ou plusieurs explications sur le terroir ou l’élaboration.

Grilles de dégustation et tableau des familles aromatiques

La WSET est étudiée dans 70 pays

En 2017, plus de 10 000 personnes étudient l’approche de la WSET, dans 70 pays et 19 langues. Cela fait beaucoup de monde, même si on est encore loin de l’universalité. L’approche systématique de la WSET est un bon début pour que les gens se comprennent et pour éviter les imposteurs qui mettent de la minéralité, de la tension et divers concepts flous un peu partout, comme mon père parlait de la cuisse et du retour de certains vins. Le summum est sans doute de considérer qu’il existe une vérité du goût. Le fameux « boire vrai » qui est à la mode aujourd’hui dans la jeune génération de la sommellerie à Montréal. J’en parlerai dans un autre billet, un jour…

Je suis d’accord avec Pierre Birlichi et Véronique Rivest, ces approches réduisent le vin à une partie seulement de sa réalité, car les mots sont restrictifs et guident nos esprits, et les vins sont vivants, avec parfois des saveurs qui dépassent les limites du vocabulaire, aussi sophistiqué soit-il.

Mais c’est un bon début vers une tentative d’objectivité et de rigueur que devraient suivre les professionnels du vin, ce qu’ils font rarement. Car toutes ces personnes, fières de leurs connaissances et des milliers de vins dégustés, ne s’entendent souvent même pas sur les mots et concepts qu’ils utilisent en commun. Pour le blogueur « A », un « niveau moyen de tannins », c’est un Bordeaux, pour le chroniqueur « B », c’est un Bourgogne générique. Même l’utilisation de certains arômes pourrait surprendre…

 

Croire à l’utilité d’une approche systématique de la dégustation et à un étalonnage des dégustateurs (essentiellement sur les niveaux moyens des goûts et les différents marqueurs des principales familles aromatiques) nous permet de considérer la possibilité d’un système de notation objective des vins. C’est le sujet de mon prochain article. Nous construirons ensemble notre système. En attendant, je vous souhaite un superbe été!

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